Shitstorm : le cataclysme des relations presse sur le Web

Si l’on parlait de climat sur les réseaux sociaux, les managers responsables des réseaux sociaux seraient de véritables météorologues : dans un tel espace, une brise peut vite se transformer en ouragan. C’est pourquoi il convient de surveiller continuellement les commentaires des utilisateurs sur les réseaux sociaux. Si un vent de mécontentement commence à se soulever, il convient d’agir au plus vite. Les nombreux shitstorms qui ont déferlé sur les réseaux sociaux ces dernières années en témoignent.

Les entreprises sont régulièrement surprises par ces cataclysmes sur le Web. Les médias ont créé le néologisme « shitstorm » pour désigner ce phénomène qui peut fortement porter à l’atteinte de l’image de marque de l’entreprise. Si la colère et le désarroi des utilisateurs déferlent sur le Web, les répercussions négatives peuvent s’étendre sur plusieurs années.

Une gestion de crise conséquente et rapide permet de se défendre contre un shitstorm. Nous vous dévoilons les principaux aspects de ce management de crise et exposons des exemples de shitstorms qui ont eu lieu sur les réseaux sociaux ainsi que les moyens d’y remédier.

Qu’est-ce-qu’un shitstorm ?

Un shitstorm désigne un déchainement de critiques virulentes envers une personne, un groupe de personnes ou encore une entreprise sur les commentaires de sites Web, blogs ou réseaux sociaux. Allant des vagues d’indignation publiques à une tempête de colère, ce phénomène en ligne prend souvent un effet boule de neige qu’il est difficile d’arrêter.

Le terme shitstorm vient de l’anglais et englobe dans cette langue une notion plus vaste, qui ne se limite pas à l’écosystème des réseaux sociaux. Le dictionnaire Oxford Dictionary définit le phénomène comme étant « A situation marked by violent controversy » et caractérisé par un jargon très familier. Les débordements malheureux sur le Web sont bien souvent liés à un sentiment d’impunité des internautes. Ceux-ci se croient sous couvert d’anonymat sur la Toile, à tort, en oubliant les risques judiciaires.

Lorsqu’un shitstorm concerne une personnalité publique ou une personne privée, le terme de cybermobbing est évoqué. Cette pratique malheureuse combine un mélange de diffamation, de harcèlement et de coercition. Le terme de « lapidation digitale » est malheureusement également évoqué lorsque des comportements comme les commentaires haineux ou humiliants sont proférés dans le cadre d’un shitstorm et peuvent avoir des conséquences judiciaires.

Le fonctionnement d’un shitstorm

Chaque shitstorm compte un élément déclencheur qu’il est possible de retracer. Dans le cadre d’une entreprise, cela peut être à titre d’exemple des activités ou pratiques qui portent à controverse, des maladresses dans la communication ou des erreurs, des malentendus ou encore des promesses non tenues. Bien souvent, les shitstorms cristallisent le mécontentement de la clientèle ou sont liés au non-respect d’un système de valeurs qui unit la clientèle. Ce cataclysme de communication débute souvent par quelques commentaires seulement. Les utilisateurs s’expriment sur les canaux de communication pour exercer une critique ou démontrer l’ampleur du pouvoir des consommateurs. Le profil de l’entreprise devient alors très rapidement le bouc émissaire digital. Mais ces commentaires ne deviennent un shitstorm que lorsqu’ils trouvent un écho au sein de la communauté Web et que les réactions négatives se multiplient auprès d’un nombre grandissant d’utilisateurs en peu de temps. Il arrive bien souvent que ces commentaires négatifs s’éloignent progressivement du sujet de discorde initial et qu’ils passent d’une critique factuelle à un des outrages de toutes sortes. Les shitstorms prennent un écho encore plus redoutable lorsqu’ils sont relayés par la presse. Les médias leur confèrent un effet boule de neige et cela résulte en une véritable crise, qui pose énormément de pression sur l’entreprise concernée, qui doit se justifier. Les différentes étapes d’un shitstorm se découpent en plusieurs temps. L’entreprise de social media monitoring BIG (Business Intelligence Group) a compté trois étapes principales au cours d’un shitstorm:

  • La phase antédiluvienne : dans cette phase de début, les commentaires, leur nature, leur redondance, n’attirent pas encore l’attention.
  • La phase critique : cette étape, particulièrement virulente, témoigne d’un nombre anormal de commentaires négatifs. Dans cette phase, les médias témoignent des événements et cela accroît l’attention du public. Si l’entreprise ne commet pas d’erreurs de communication qui remet le feu aux poudres, le shitstorm s’essouffle normalement petit à petit.
  • La phase d’accalmie : cette phase post shitstorm ne peut effacer toutes les traces de la crise, car Internet n’oublie jamais.

Un shitstorm est à son apogée lorsque les discussions s’éloignent du sujet qui portait à controverse initialement et qu’elles deviennent tendancieuses. Bien souvent, la rapidité de la communication sur les réseaux sociaux rend la diminution d’un shitstorm presque impossible avant le cataclysme digital. Mais il arrive que les internautes fassent parfois preuve d’une vague de soutien de solidarité sur le Web en parlant d’une entreprise dans le cas d’un shitstorm : on parle alors de principe « David contre Goliath ».

Analyse des shitstorms

Dans le cadre de conférences sur le marketing des réseaux sociaux en 2012, les deux experts suisses en relations presse Barbara Schwede et Daniel Grad ont exposé le processus d’un shitstorm comportant six échelles différentes. L’idée est qu’il puisse se lire tel un bulletin météo rapporté aux crises sur les réseaux sociaux. Quelques commentaires négatifs esseulés y sont présentés sous forme d’une légère brise, et les commentaires déchainés et de grande ampleur sous forme d’un ouragan, tel une échelle de Richter illustrée pour expliquer un shitstorm.

Les effets d’un shitstorm sur la réputation d’une entreprise peuvent être estimés en fonction de la quantité de commentaires négatifs. La persistance (durée) de la tempête est également un facteur important. 

  • Quantité de commentaires : l’ampleur du shitstorm peut être estimée en fonction de la quantité de commentaires négatifs par rapport à la moyenne.
  •  Persistance : c’est la durée du shitstorm sur les réseaux sociaux, les sites Web ou les blogs affectés. La persistance dépend des moyens de communication mis en œuvre pour contrer le shitstorm.
  • Pertinence : ce critère comprend la pertinence des propos négatifs tenus sur l’entreprise. Ces commentaires sont-ils pris au sérieux par les autres internautes ? Quelle en est la portée et la visibilité ? Cela dépend également du type de plateforme utilisée.

Les exemples les plus connus de shitstorm ces dernières années

Découvrez ci-dessous des exemples illustratifs sur la manière dont un shitstorm prend de l’ampleur et quels les meilleurs moyens pour y remédier.

DELL Hell : ou pourquoi il ne faut pas sous-estimer les critiques de la clientèle

Le premier grand shitstorm de l’histoire du Web a été déclenché par Jeff Jarvis, un blogueur américain et professeur de journalisme en 2005. Celui-ci était déçu des produits et du service clientèle de Dell, le fabricant d’ordinateurs américain. Jeff Jarvis a par la suite publié une série de commentaires négatifs, dans lesquels il exprimait publiquement son mécontentement. L’entreprise multinationale n’a tout d’abord pas pris en compte le commentaire « Dell lies. Dell sucks ». Mais ce commentaire a été lu par de nombreux internautes.

Les internautes ont par la suite été de plus en plus nombreux à prendre parti et se ranger aux côtés de Jeff Jarvis, qui disposait également d’une portée puissante sur le Web en tant que blogueur. Les avis négatifs, témoignages et mauvaises expériences liées à l’entreprise Dell se sont par la suite multipliés sur le Toile. Jusqu’à présent, jamais un shitstorm n’a pris une telle ampleur. Les médias ont été très nombreux à relayer l’information et le mécontentement des utilisateurs de Dell, en utilisant un titre accrocheur : DELL Hell (l’enfer de DELL).

DELL a, selon ses dires, investi par la suite 150 millions de Dollars pour désamorcer la crise à l’aide de spécialistes. Une fois que les critiques ont connu une accalmie, l’entreprise informatique a été l’exemple type du shitstorm mais aussi de la gestion de crise dans ce type de situations qui représente un véritable défi en matière de communication.

Nestlé : le pouvoir des images

Avec la barre chocolatée KitKat, l’entreprise multinationale de l’industrie agroalimentaire a soulevé une vague d’indignation historique. L’initiateur du shitstorm est l’ONG Greenpeace, qui a publié une vidéo choc en 2010 sur YouTube, visant à marquer les esprits des consommateurs et leur couper l’appétit. Dans la vidéo, les consommateurs y voient un homme au travail qui désire faire une pause en ouvrant un emballage de KitKat. Mais à la place d’y déguster une barre chocolatée, il tient entre ses mains les doigts sanglants d’un orang-outan.

L’objectif de la vidéo de Greenpeace est d’y dénoncer les méthodes de production de Nestlé, qui se basent sur l’exploitation de l’huile de palme, qui contribue à la déforestation de la jungle Indonésienne, qui abrite de nombreuses espèces en danger. Le message est clair : le consommateur qui achète KitKat a du sang sur les mains, car il participe activement à la destruction d’espèces animales et à celle de leurs espaces vitaux.

L’entreprise agroalimentaire a réagi très rapidement au shitstorm en veillant à ce que la vidéo soit supprimée de YouTube et a supprimé les commentaires négatifs des utilisateurs de leur propre profil Facebook. C’est néanmoins une stratégie peu recommandée, notamment en matière de communication de crise. Le fait de supprimer les commentaires négatifs n’a fait qu’accentuer la colère des utilisateurs, et la vidéo de Greenpeace a encore plus été relayée sur un nombre incalculable de sites Web et de médias. Pour finir, Nestlé a dû faire face à une pression grandissante et changer de fournisseur d’huile de palme.

Championnat d’Europe de football : l’UEFA épinglée

C’est au tour de l’UEFA, acronyme de l'Union des associations européennes de football, d’être éclaboussé par un scandale en 2012 au cours du championnat d’Europe de football. Comme tout pays qui accueille un événement sur son territoire, l’Ukraine voulait se présenter sous son meilleur jour. C’est pourquoi les autorités et les organisateurs ont souhaité mettre un terme à la problématique des chiens errants sur les lieux de l’événement avant le début du championnat. Les mesures prises ont été les suivantes : empoisonner systématiquement les chiens errants, pour ensuite brûler leurs cadavres.

Les défenseurs des droits des animaux ont veillé à alerter l’opinion et à sensibiliser les internautes sur la problématique. La résonnance et les appels au boycott ont pris un écho considérable et l’information a été relayée par les médias. L’association PETA (acronyme de People for the Ethical Treatment of Animals) et la page Facebook « Stop Killing Dogs » ont connu un écho considérable. Lorsque le shitstorm a connu son apogée, même les sponsors de l’événement sportif se sont désolidarisés afin de préserver leur image de marque. Pour finir, le gouvernement ukrainien a pris de nouvelles mesures pour ne plus recourir à l’empoisonnement des chiens errants.

La RATP : face aux accusations de sexisme

Dans sa campagne de prévention des comportements à risques, la RATP (Régie Autonome des Transports Parisiens) a eu pour idée de mettre en scène des hôtesses de l’air. Dans la vidéo promotionnelle, on peut donc observer comment de jeunes hôtesses de l’air s’habillent, pour ensuite aller arpenter les couloirs du métro parisien en suivant un pilote de l’air. Les hôtesses distribuent après les consignes de sécurité, tout sourire, avant d’envoyer des baisers à la caméra.

La réaction des internautes n’a pas tardé et le clip a été très vite pointé du doigt pour arborer un caractère sexiste. La RATP, dont l’objectif était de «rappeler les règles élémentaires pour voyager en toute sécurité» a réagi très rapidement au shitstorm sur les réseaux sociaux. L’entreprise de transports a ainsi répondu à un internaute sur Facebook de la manière suivante : "Nous sommes navrés que cette vidéo vous semble sexiste (…)" et s’est justifiée, et le shitstorm a pu être maitrisé.

Volkswagen : à flux tendu

Le géant allemand de l’industrie automobile a connu un scandale important pour fraude à grande échelle. Volkswagen a été démasqué pour triche dans ses tests anti-pollution sur presque 500 000 voitures qui ont été vendues aux Etats-Unis. L’entreprise a été menacée d'une amende record et a gravement entaché l'image de la marque automobile.

Les réseaux sociaux étaient en effervescence, et notamment la plateforme de microblogging Twitter. Les internautes ont relayé de nombreuses parodies suite au scandale et le hashtag #Volkswagen sur Twitter a été en tête des sujets les plus commentés pendant longtemps suite au scandale. La marque a été confrontée violemment à la puissance des réseaux sociaux et il lui a fallu beaucoup de temps pour reprendre à nouveau le contrôle de sa communication, en prenant en compte la veille sur les réseaux sociaux.

La communication de crise : la réponse professionnelle aux shitstorms

Comme ces exemples de shitstorms l’ont exposé ci-dessus, les vagues d’indignation résultent de causes différentes. La dynamique propre aux réseaux sociaux constitue un véritable défi pour les entreprises. D’autant plus que la méthode et la manière de procéder face à un shitstorm varie au cas par cas, en fonction de l’entreprise et du type de critiques. Les stratèges des relations presse conseillent néanmoins de se tenir à certaines lignes de conduite en matière de communication. Ces mesures servent en première ligne à éviter que la situation escalade.

  • Rester calme et analyser la situation : si un shitstorm menace d’éclater, les entreprises ont parfois tendance à surréagir. Avant de prendre des mesures pour lutter contre le shitstorm, il convient d’analyser objectivement la situation. Ce n’est pas parce qu’il y a plus de commentaires négatifs que dans une journée habituelle que cela se transformera en vague d’indignation. Il convient alors de se demander si les critiques sont justifiées et comment y répondre pertinemment.
  • Éviter le recours à la censure : les réactions impulsives comme la suppression de commentaires négatifs est à éviter à tout prix, tout comme la suspension du canal de communication en cas de remous. Les commentaires et la colère des internautes ne feront que se reporter sur d’autres canaux, tel que c’était le cas avec Nestlé. De plus, la suppression de commentaires peut poser problème d’un point de vue juridique. Souvent, la suppression de commentaires aura pour répercussion d’attiser la colère plutôt que d’endiguer le problème. De plus, si les commentaires ne sont pas crédibles ou infondés, il est préférable de les laisser, d’autant plus que leurs auteurs se chargent eux-mêmes de se discréditer par des propos infondés.
  • Éviter de commettre des erreurs en prenant au sérieux toutes les critiques : il convient en cas d’attaques virulentes et répétées de prendre les critiques au sérieux et de penser aux étapes suivantes et aux répercussions. Les entreprises qui passent les malentendus sous silence en attendant que la tempête passe. Il est préférable d’avouer ses erreurs et d’être transparent sur les conséquences, sans les minimiser. Les entreprises devraient également présenter un plan d’action concret.
  • Communiquer ouvertement et de manière exhaustive : la communication de crise est une bataille continuelle pour conserver et renvoyer une bonne image de l’entreprise. Si cette image de marque est mise en danger, il convient de veiller à rester transparent et gagner à nouveau la confiance des clients. Mais en cas de crise, les actionnaires, collègues et fournisseurs auront également besoin d’être informés. Le tact est de mise, et il est préférable d’avoir recours à l’aide de prestataires externes en cas de manque de personnel en relations presse. Des professionnels en consulting pourront également aider, notamment lorsqu’il s’agit de rallier des influenceurs à votre cause et de s’adresser de manière adéquate au public.
  • Utiliser tous les canaux de communication : c’est surtout en période de crise que les entreprises doivent montrer qu’elles sont prêtes à communiquer. Malgré un shitstorm, il est possible de garder la fidélité de sa clientèle en montrant que l’on cherche à l’écouter et à s’impliquer. C’est pourquoi nous recommandons de communiquer activement sur tous les différents canaux, y compris sur le service clientèle, même si le processus se révèle souvent coûteux.

Lorsque les entreprises ont l’occasion de réagir à temps et de communiquer de manière transparente sur d’éventuelles erreurs qui auront été commises, il est possible de réparer les pots cassés an matière d’image. Il en va de même pour les rappels de produits, lorsque le fournisseur ou le distributeur a fait preuve d’une grande réactivité. Si un scandale a affecté l’entreprise et qu’il y a eu une restructuration à la suite ou que des mesures importantes ont été prises, cela peut également conférer un capital sympathie auprès du public et rendre la marque plus connue.

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